jeudi 10 décembre 2009

CORRECTION COMMENTAIRE D’ARRET 3civ., 4 juillet 2007

Avertissements : Les éléments nécessaires au commentaire de l’arrêt se trouvaient dans le cours. L’autorisation du Code civil devait permettre une utilisation appropriée de la jurisprudence adéquate.
Les étudiants devaient se montrer vigilants et observer que tous les éléments constitutifs de l’erreur vice de consentement, n’étaient pas réunis. La principale source de confusion portait sur la solution de la Haute Juridiction. Il fallait relever que la Cour de cassation ne conteste pas l’existence d’une erreur sur la substance et que la cassation ne visait que le caractère inexcusable de celle-ci. Bien souvent, les étudiants ont manqué de souligner que le vendeur qui se prévalait de l’erreur était un professionnel, et que sa vigilance aurait du être particulièrement accrue en ce qui concerne le prix de vente. A titre subsidiaire, les développements sur la responsabilité n’étaient pas attendus le correcteur, mais leur présence a été appréciée positivement.







L’année 2007 est particulièrement riche d’enseignements concernant les vices du consentement. Désormais la vigilance est de mise pour les professionnels des transactions immobilières. S’ils ne sont plus obligés d’informer le vendeur profane sur la valeur du bien acquis[1], ils ne peuvent plus se prévaloir  de l’erreur sur la conversion du prix pour annuler le contrat. L’arrêt de la Troisième Chambre civile du 4 juillet 2007 en est une parfaite illustration.
            Les faits sont relativement simples, le 7 juillet 2003 un marchand de biens conclut une promesse de vente immobilière au bénéfice d’une SCI, pour un montant de 457 347 euros. Le 14 août 2003, la vente est réitérée par acte authentique aux mêmes conditions. Par la suite, le vendeur souhaite faire annuler la vente pour erreur sur le prix issue d’une conversion erronée du prix de francs en euros. Le 28 mars 2006, la Cour d’appel de Poitiers fait droit à cette demande. Les juges du fond annulent donc la vente en estimant que l’erreur porte bien sur la substance de la chose objet de la convention, et que celle-ci est excusable du fait d’une faute de négligence de la part de la secrétaire notariale. Les acheteurs se pourvoient donc en cassation pour obtenir le maintien de la vente. La Troisième Chambre civile a été amenée à s’interroger sur le caractère excusable de l’erreur commise par un professionnel. Plus précisément, il s’agit de savoir si l’erreur sur la conversion du prix de francs en euros commise par un marchand de biens est excusable.
            La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement des juges du fond et casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1110 du Code civil. A l’appui de son raisonnement, la Haute Juridiction affirme que le marchand de biens doit être en mesure de déterminer la conversion du prix. De plus elle insiste sur le fait que tous les actes comportaient le prix erroné et que part là même le professionnel était en mesure de contrôler à plusieurs reprises le montant en euros de la vente négociée en francs. Il est à noter ici que la censure ne porte que sur le caractère excusable de l’erreur. Cet arrêt d’espèce met en lumière le rôle substantiel du caractère inexcusable de l’erreur (I), dont l’absence assure le maintien de la vente conclue (II).






I-  L’absence de l’une des conditions d’existence de l’erreur vice du consentement

L’article 1110 al. 1 du Code civil indique que «l’erreur vice du consentement n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet». La lecture de cet article montre qu’a priori la nullité du contrat n’est soumise qu’à une seule condition, celle de l’objet de l’erreur (A). Toutefois, la jurisprudence a précisé que l’erreur ne peut être cause de nullité que si celle-ci est excusable[2] (B).


A- La substance de la chose, objet de l’erreur.

            L’erreur est le premier vice du consentement auquel fait référence le Code civil. Cependant ni l’article 1109, ni l’article 1110 n’en donnent une définition précise. L’erreur s’apprécie au moment de la formation du contrat, elle constitue une fausse appréciation de la réalité. Par conséquent, elle remet en cause la qualité du consentement donné. Comme tout vice de consentement, l’erreur doit être déterminante. En son absence, le contrat n’aurait pas été conclu. Le caractère déterminant s’apprécie in concreto par les Tribunaux. Les juridictions ne distinguent pas selon que l’erreur porte ou non sur sa propre prestation[3]. En l’espèce, l’errans est le vendeur, et il ne fait aucun doute que s’il avait eu connaissance du réel prix en euros de l’immeuble, il aurait probablement contracté à d’autres conditions, voire refusé de conclure la vente.
            Les juges du fond approuvés par la Cour de cassation, relèvent que l’erreur porte sur la substance de la chose objet de la convention. En effet, nous ne sommes pas ici dans le cas d’une erreur arithmétique qui donne lieu à rectification[4], ni d’une erreur sur la valeur qui est en principe indifférente. En l’espèce l’erreur porte sur la conversion du prix, constitutive d’une erreur sur la substance. Le terme substance peut être appréhendé différemment selon que l’on se réfère à la conception objective d’une part, ou la conception subjective d’autre part. Objectivement, la substance désigne la matière dont la chose est faite. Subjectivement, elle renvoie la qualité substantielle de la chose en l’absence de laquelle les parties n’auraient pas contracté. En l’espèce, il semble bien que ce soit cette conception qui soit retenue par les juges, le prix de la chose constitue la contreprestation du vendeur. C’est bien la conversion du prix qui caractérise l’erreur sur la qualité substantielle de la chose. Il ne faut pas confondre l’erreur sur la conversion avec l’erreur sur le prix. Le passage à l’euro a occasionné de nombreux litiges relatifs à la confusion avec les francs. De manière générale, l’erreur sur l’unité monétaire doit être considérée comme une erreur sur l’objet du contrat constitutive d’une erreur obstacle. Celle-ci diffère de l’erreur vice de consentement en ce qu’elle empêche toute rencontre des volontés, et est sanctionnée par la nullité absolue du contrat[5]. Dans le cas présent il y a bien eu rencontre des volontés mais l’erreur portait sur la substance de l’objet de la chose. Pour qu’elle puisse entraîner la nullité relative du contrat, encore faut-il que cette erreur soit inexcusable.



B- Le caractère inexcusable de l’erreur.

           
            Lorsque l’erreur sur la substance est déterminée, les juges s’intéressent au caractère excusable de celle-ci. Ces deux conditions sont cumulatives. Si l’une vient à manquer, le contrat ne pourra être annulé pour consentement vicié par l’erreur. L’exigence du caractère excusable est une condition d’origine prétorienne, le projet Catala y fait référence ce qui lui donnerait une véritable assise légale en cas d’aboutissement de la réforme du droit des obligations[6]. C’est sur ce point que s’opère la censure de la Cour de cassation. Les juges du fond ont retenu que l’erreur du professionnel était une erreur provoquée par la secrétaire notariale, de plus sa qualité de professionnel ne lui conférant qu’un « avantage fiscal », on ne pouvait lui reprocher la mauvaise convention de francs à euros. La Troisième Chambre civile ne suit pas ce raisonnement pour deux raisons. Elle relève tout d’abord que l’erreur a été commise à plusieurs reprises, dans l’acte du 7 juillet 2003, puis dans celui du 14 août 2003. La réitération[7] fait ici apparaître un véritable manque de vigilance. Dans un second temps, la Cour prend soin de souligner la qualité de professionnel du marchand de biens pour en tirer les conséquences quant à sa compétence. Le marchand de biens est un «professionnel de la vente», par conséquent, il doit «savoir déterminer et contrôler la conversion d’un prix négocié en francs, en euros». L’arrêt commenté ne présente pas d’originalité, il reprend une jurisprudence traditionnelle en la matière lorsque l’errans est un professionnel[8]. Ce faisant, le caractère inexcusable est apprécié in concreto par la Cour. En vertu de l’adage de non vigilantibus non curat praetor[9], les Hauts magistrats se sont montrés très exigeants quant à la présence d’une erreur excusable.
L’arrêt peut toutefois soulever une interrogation. On peut se demander si la qualité de profane du vendeur aurait pu conduire à une solution inverse? En effet la Cour de cassation prend grand soin de préciser que la qualité de professionnel implique une obligation particulière de contrôle, en est-il de même pour le profane ? En l’espèce, l’argumentation de la Haute Juridiction s’effectue en deux temps. Elle relève que l’erreur de conversion, bien que provoquée par la secrétaire notariale, a été réitérée à deux reprises. Le vendeur, même profane, aurait pu se rendre compte de la faute commise. La Cour de cassation insiste certes sur l’obligation de vigilance qui pèse sur le professionnel, mais sanctionne à juste titre le vendeur non diligent qui aurait pu se renseigner à deux reprises sur la conversion du prix. Ainsi, les deux caractères conduisant à la nullité du contrat pour erreur de sont pas réunis.




II- Le refus corrélatif de prononcer la nullité de la vente pour erreur

L’absence du caractère inexcusable de l’erreur a pour conséquence immédiate le maintien du contrat (A). A défaut d’être libéré de son engagement contractuel, le vendeur peut mettre en cause la responsabilité du notaire (B).



A-    Le maintien du contrat.



La solution de la Cour de cassation n’est pas favorable au vendeur d’autant plus que son erreur a été provoquée par le notaire. Les Hauts magistrats appliquent strictement le régime de la vente. Par conséquent, ils considèrent que le contrat est valablement formé au regard des articles 1108 et 1582 et s. du Code civil. Bien qu’il existe une erreur sur la conversion, le prix de vente est bien déterminé. Par ailleurs les exigences de l’article 1108 du Code civil sont bien remplies. Le Cour de cassation a refusé à l’errans  la nullité de la vente pour erreur car les conditions d’existence de ce vice de consentement n’étaient pas réunies. Ce dernier ne pourra pas obtenir la sanction escomptée alors même que les juges du fond avaient relevé que cette erreur avait été provoquée par un tiers. Les juges sont très réticents quant au prononcé de la nullité du contrat, préférant ne pas intervenir au sein des relations contractuelles. Ils essayent la plupart du temps de privilégier la validité du contrat. La Cour de cassation estime en l’espèce que la vente doit être maintenue, allant ainsi à l’encontre de l’arrêt d’appel qui avait prononcé la nullité relative.
Les conséquences de cette solution peuvent être très lourdes pour les deux contractants. L’arrêt de cassation intervient plus d’un an après l’annulation de la vente par la Cour d’appel. Il est possible que le vendeur ait durant ce laps de temps revendu l’immeuble à son véritable prix. Dans ce cas, les acquéreurs évincés ne pourront recevoir qu’une compensation pécuniaire, et se retrouveraient lésés alors même que la Cour de cassation les conforte dans leur droit de propriété.
Enfin, il est à noter le prononcé du maintien du contrat ne laisse pas le vendeur sans recours. En effet, l’arrêt de la Cour d’appel a mis en exergue un disfonctionnement au sein de l’office notariale, pour en conclure au caractère excusable de l’erreur.
Au regard de la solution de la Troisième Chambre civile, le contexte dans lequel est intervenue la formation de la vente permet au vendeur de mettre en jeu la responsabilité du notaire.


B- La mise en œuvre de la responsabilité civile du notaire.


N’ayant pu obtenir satisfaction sur le terrain de la nullité du contrat, le vendeur peut souhaiter engager la responsabilité du notaire qui l’a induit en erreur. En effet, les juges du fond ont retenu que l’erreur était excusable car provoquée par un tiers. Celle-ci «résultait d’une mauvaise conversion effectuée par la secrétaire notariale». Indirectement, ils ont considéré qu’une faute pouvait être reprochée au rédacteur de l’acte. Dès lors, puisque ce dernier  a été négligent, le vendeur peut engager sa responsabilité. Dans une telle hypothèse, la mise en œuvre de la responsabilité du notaire est donc concevable. Le problème est de savoir sur quel fondement.
S’agit-il d’une responsabilité contractuelle ou délictuelle? La distinction est subtile, la responsabilité sera contractuelle quand le notaire agit comme mandataire des parties. Cette solution est à écarter en l’espèce. Il semble que ce ne soit pas le cas en l’espèce. Toutefois, le fondement sera délictuel lorsque le rédacteur d’acte use de sa fonction d’officier public[10]. C’est bien dans ce cadre que le notaire a agi dans cet arrêt. En effet, les parties ont conclu un acte sous seing privé, puis un acte authentique. Elles ont donc confié au notaire une mission d’authentification. En tant qu’officier public, un devoir de conseil lui incombe. Dès lors, le vendeur pourra agir contre le notaire sur le fondement de l’article 1382 du Code civil régissant la responsabilité du fait personnel. La preuve de la faute du notaire sera rapportée facilement. Elle découle du manquement à son devoir de conseil. Enfin, preuve devra être faite d’un préjudice subi par le vendeur qui en l’espèce est d’ordre économique, ainsi que d’un lien de causalité.


[1] Tel est l’apport de l’arrêt de la Troisième Chambre civile du 17/01/2007, D.2007, Jur. p.1051, note D. Mazeaud, D.2007, Jur. p. 1054, note Ph. Stoffel-Munck.
[2] Cass. soc., 3 juillet 1990, D. 1991, p.507, note Mouly, RTD civ. 1991, p. 316, obs. J. Mestre
[3] Cass. 1ère civ., 22 février 1978, D 1978, Jur., p., 601, note, Ph. MALINVAUD.
[4] Il ne peut y avoir lieu a rectification lorsque le professionnel a été négligent et que son cocontractant n’a pas eu connaissance des éléments de calcul, en ce sens Cass. 1ère civ., 29 février 1995, Defrénois 1996, art. 36272, p. 363, obs. D. Mazeaud.
[5] Cass. com. 14/01/1969, D. 1970, p. 458, note M. Pédamon; RTD civ. 1969, p. 556, obs. Y. Loussouarn ; CA Orléans 13/05/2004, CCE 2004, n°154, note Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ 2005, p. 589, obs. J. Mestre et B. Fages.
[6] L’article 1112-3 de l’avant projet énonce: «L’erreur sur la substance ou sur la personne est une cause de nullité, qu’elle soit de fait ou de droit, à moins qu’elle ne soit inexcusable».
[7] Voir en ce sens la note de N. RIAS, D 2007, Jur., p., 2847 et suiv.
[8] CA PARIS, 24 avril 1984, Gazette du palais 1985, I, p., 179, note DUPICHOT.
[9] Cet adage signifie que «la loi ne protège pas les imbéciles».
[10] En ce sens V. Cass 1ère civ. 23/01/2008, n°06-17479.

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